Le premier voyage...

On raconte qu'un voyage est toujours triple. Le premier est celui qui se fait depuis chez soi, par l'imagination, le désir et, parfois, un peu d'organisation.

Ensuite il s'agit de partir, de puiser dans la réserve de poudre d'escampette, poil à la quête. C'est le deuxième voyage, qu'on fait comme on peut.

Parfois on revient, parfois on arrive ailleurs. Il reste à faire le troisième voyage, on y rencontre les souvenirs. Il y a ceux qui sont comme des trésors qui brillent sans cesse, ceux qui sont lourds comme un lest, ceux qui sont comme des compas qui indiquent toujours le cap qui était le nôtre et qui nous permettent de savoir si nous le suivons toujours ou non, sur la route de grandir. Et puis il y a les histoires, les anecdotes, cadeaux faciles à offrir, à échanger, en plus de ce que nous disons avec les yeux, avec les actes, de retour chez nous ou à l'escale. Il y a aussi ce qu'on ne saurait ranger nulle part dans la mémoire, parce que c'est encore en cours, les ondes des chocs que nous avons pris continuent de répandre leurs échos jusqu'à se fondre dans la vibration qui nous est propre, dont la fréquence est transformée.

Bon d'accord mais si, malgré l'arrivée, l'aventure continue ? Quand est-ce qu'on va le faire le troisième voyage ?

On est pas encore partis... mais déjà le besoin de récit se fait sentir. Au-delà de l'anecdote, raconter c'est jeter des ponts de singes entre des ailleurs qui sinon resteraient peut-être aveugles les uns aux autres. Et quoi ? Et bien, peut-être qu'on aimerait ouvrir une autre dimension de ce qu'on vit - en plus de vivre - faire un petit double-fond à la réalité où l'on mettrait ce que l'on choisit de plus beau, de plus important, pour nous autres, et les autres, à toutes fins utiles et parce qu'il ne faut pas être radin sur la beauté. Peut-être que c'est en se racontant des histoires qu'on est le plus juste, parce que les histoires en disent autant de celle ou celui qui les raconte que des faits qu'elles véhiculent, qu'elles proposent de voir le monde depuis cette rencontre.

Peut-être aussi qu'on aimerait bien bricoler comme ça une vérité plus efficiente que " loin des yeux, loin du coeur ".

Alors il ne s'agira pas ici de faire du reportage, et pas non plus de vous mener en bateau, seulement de tenter de faire deux voyages en même temps, et de vous souhaiter la bienvenue.

Chach' Pékèch Represent - 1.XII.17

Nous avions rendez-vous au bateau, au Sud de la rade de Lisbonne, à Sarilhos Pequenos. Un nom noté sur un papier, cherché sur une carte, prononcé comme pour s'habituer, quand on nous demandait ? C'est où que tu vas ? Mais une fois sur place, quand tu demandes " Sarilhos Pequenos ", comme ça se prononce, la route se tord, les sourcils se lèvent. Ici c'est Chach Pékèch.

Ceci dit, quand tu dis que tu retapes un bateau à Chach Pékèch, on te fais répéter. Il n'y a pas de justice.

Ici, quelques images du chantier.

Logo se vê

Parmi les nombreux voiliers qui dorment au chantier, il y en a un petit qui attire l’œil. Peut-être parce qu’il n’est pas orné de mille couleurs comme les autres. Il est blanc râpé, son nom est peint en noir, Logo se vê.

Sans causer tellement le portugais, ça aurait pu signifier « on se verra bientôt » mais c’est pas ça.

Ici, au temps de sa construction, chacun y est allé de son avis : le mât était trop court, et trop long, il ne portait pas assez de toile, ou beaucoup trop, il ne tiendrait jamais la mer, il danserait n’importe comment…

 Le maître-charpentier écoutait et il a dit qu’on appellerait le bateau Logo se vê : on va vite voir.

 - Et alors, il marche bien ?

- De quoi, le bateau ? Oui, super !

Les noms

Alfonso de Albuquerque, Filosoof, Nova Onda, Baia do Seixal, Liberdade, Blimunda, Pinto Luisa, Princessa do Tejo, Pestarola, Esperança, Tiriri, Albarquel, Malandro, Santa Maria Manuela, Castro Junior, Logo se vê, Leão, Sou do Tejo, Liberdade, Sempre Consegui, Amoroso...

Des noms de bateaux.

Albarquel et le monster treuil - 3.XII.17

Albarquel était calé entre les autres bateaux, pour lui refaire une beauté il a fallu le sortir de l'eau. On a aussi tiré quelques mots de là.

 

Dubateau : Ah bon ! C'est aujourd'hui ? Ah bawi, la grande marée c'est le 3, donc 15h30.

 

Dubord : 17h30. Des bonnets qui courent sur le pont, des dreadlocks qui se penchent sur le pavois, une barbe et de longs cheveux noirs à la proue, des bottes de pêcheurs qui s'agitent sous la coque et tous ces cris, ce charabia. Mais comment font-ils pour se comprendre ?

 

Dubateau : Comme quand tu regardes un film d'action dans une langue étrangère, tu comprends quand même ce qui se passe. Par exemple quand le type, (que nous appellerons Le-type-qui-sait-tout-avec-ses-yeux-magiques) debout sur le toit de la timonerie, gueule "Patras !Patras !" ça ne veut pas dire qu'on tombe, la preuve : on flotte encore, mais "en arrière".

"Volta", comme en français, signifie "tourne", c'est-à-dire qu'il faut amarrer le bout' au taquet, pour arrêter le bateau. Deux corps-morts sont coulés devant le rail qui plonge sous la vase, nous nous en servons pour axer le bateau. Une flèche a été crayonnée sur le pavois, c'est là qu'il faut aligner la grande perche en métal pour être bien positionné sur le chariot. Ah parce qu'il y a un chariot ? sous l'eau ? Bawi, tu sens pas que le bateau bouge à plat d'avant en arrière comme sur un skate ?

 

Dubord : Faut imaginer une énoorme machine avec des engrenages qui font eux fois ma taille. Ça fait un boucan incroyable ce truc là, des roues qui tournent, un câble qui tire avec une tension énoorme.

 

Dubateau : Par progressions successives de 7 cm, dit l'amie Compas-dans-l'oeil. Le bateau remonte sur le rail, comme une énoorme chenille. Nous faisons cap sur hangar de Jaime. Que J'aime ? Que je t'aime ? Non. Johnny Halliday sera mort après-demain et, ce jour-là, nous reprendrons deux fois des nouilles. Le hangar de Jaime Costa, qui nous accueille au sec pour un mois. Ici ils connaissent bien Albarquel, depuis des dizaines d'années,. À nous de jouer dans leur sillage pour que le bateau soit de nouveau prêt à naviguer.

 

Dubord : Et puis il y a ce bonnet orange fluo, (from Canada yes) qui surplombe la machine hurlante. Impassib'. Pourtant devant lui il ya ce monstre et ce câble qui s'enroule, se tend - se détend - se retend et puis au bout, ce bateau, très très gros...

 

Ça y est, calés au sec, nous avons un mois avant la prochaine grande marée où il nous faudra retourner à la flotte. Nous découvrirons de mieux en mieux à quel point nous sommes les bienvenus dans ce chantier naval à l'ancienne. C'est un endroit comme on en fait plus beaucoup, on s'y sent vite chez nous. Peut-être parce que ceux qui bossent ici sont chez eux, et pas dans une usine anonyme. On sent que partager les fait se sentir riches, comme nous, bref, on est entre gens normaux.

Travail au corps

Cherchez l'erreur dans cet atelier...

 

tic tic tic...

trois petites souris ont passé par là...

 

Il est possible d'apprendre beaucoup grâce aux erreurs...

Les gars du chantier ont plutôt bien pris notre initiative de relooking.

Point météo - 11.XII.17

Sur nous aussi a passé la tempête Ana. Depuis plusieurs jours le ciel se chargeait et descendait les étages, comme dans les livres de météorologie. Sous son air bruineux nous installions pour la première fois les bâches comme une tente au-dessus du pont. Une fois grées pour la pluie on se retrouve dans le carré pour manger, mais là-haut ça s'agite de plus en plus fort. Ce qui traîne vole et les bâches flappent à tout va. Eh bien, tout-le-monde sur le pont ! L'une débite des longueurs de garcette et nous les passe - t'attrapes ? - et nous retendons tous les points de tire de notre cabane cirée. On passe aussi des bouts tout autour du bateau, par-dessus les bâches et sous la quille pour alourdir le tout. Tu sais pas faire les noeuds ? C'est rien, fait un truc qui tient. Les rafales enflent dans la nuit. À la lueur blême des frontales, chacun à sa tête de grain, même ceux qui sont pas marins. Concentrés, ébouriffés par la force qui nous déferle dessus, nos gestes, nos regards et nos sourires prennent de la vitesse. Ça y est on est bon, ça tiendra, qu'elle vienne.

Ah... mais on dirait que le plus fort est passé, c'était la dernière bourrasque du crescendo.

" Elle est seulement venue voir si on était " Bien, nous sommes là, alertes.

Allez, à la soupe. Plus tard, d'énormes chocs font vibrer la coque de notre maison flottante sur roulette. Que pasa ? Rien de méchant, Youpi est allé mettre des coups de masse dans les cales qui empêchent Albarquel de se croûter sur le béton, juste pour voir si elles avaient du jeu. Que dalle, ça bouge pas d'un mil. Elles sont de chez elles aussi, en place.

boa noite - 16.XII.17


La nuit, à l'heure de la dernière cigarette posée au pli d'une tête renversée, quand le regard fait cap au ciel, tout est calme sur le pont. Le chantier est presque rangé, la vaisselle est faite, ça ronronne dans les bannettes. Sans la lune, la vase se confond avec l'eau, avec l'obscurité. Feliz le vieux chien gentil poussera peut-être une gueulante, histoire de, qu'il se passe quelque chose... Un peu trop tard pour une réponse, s'élèvera le forte burlesque des oiseaux insomniaques. Ce sera tout. Rien qui craque, rien qui siffle, aucune tension à percevoir, le bateau est au repos de tout son corps. Ses voiles sont encore rangées là où nous les avons recousues, les bouts ne transmettent aucune force, la coque est structurée par son poids, son équilibre est terrien. Bateau, tu dors ?

Plus pour longtemps : on touche du bois. Albarquel est un bateau de charge, chaque jour il embarque un peu plus de notre désir de sentir sa carcasse hors de toute immobilité possible. Comment elle va vibrer dans un rapport de forces accordées à l'eau, au vent ? quelles seront les structures de sa tension dans le  mouvement ? Comment elle saura nous porter, comment bougerons-nous à son rythme, comment ça se danse ce bateau-là ?

Logo se vê, bateau-maison-chantier qui rêve de nous. Un de ces jours ça va voguer ce truc-là.

Quand je lèverai mes yeux, les mâts balanceront entre les étoiles. Il ne se jouera plus rien à bord sans la basse continue de l'eau à flanc de coque. Je le vois dans les regards du matin par dessus le bord des tasses. Le monde commence à s'organiser autour de cette machine à mouvement qui va constituer notre règle du jeu d'agir : le bateau.

Mais sinon vous faites quoi dans la vie ?

Du mastic de vitrier, c'est-à-dire du mastic de boulangère. De la craie, de l'huile de lin, du siccatif, et un peu de grâce.


C'était la grande découverte d'apprendre à faire cette pâte nous même !

Et puis on a... refait les joints du pont, nettoyé, gratté, poncé la coque, gratté ses coutures, recalfaté, mastiqué, changé des bouts de bordée, déposé, nettoyé, graissé le guindeau, refait le pont à son emplacement et reposé le guindeau tout beau tout repeint, mangé des pastéis de nata, passé l'éclairage en 24 volts, identifié tous les circuits du bâto, diagnostiqué l'état de tout le bois (tout le bâto), sorti les caisses à gasoil, reposé les caisses à gasoil révisées, visité les cuves d'eau douce, révisé le vieux moteur Cul Mince de 1956, pété la flasque de refroidissement, appelé le monde entier à la recherche de cette pièce antique, réparé la flasque avec de la pâte à choux en métal, révisé le groupe électrogène, fait des réunions chantier, des réunions sentimentales, des réunions sur l'avenir d'Albarquel, recousu et renforcé les voiles, fait des frites, repeint toute la coque dessus-dessous la flottaison, mangé des pastéis de nata, revu les circuits hydrauliques, enlevé les vaigrages et l'isolation qui empêchait le bois de respirer, fait des listes, chanté au karaoké de la Vela Latina, changé les anodes, poncé et passé tous les espars à l'huile de lin, tourbillonné autour des barres de pole-dance du parti communiste de Chach Pékech la nuit du nouvel an, trouvé des consensus, appris à parler portugais (mal), repeint la coque encore une fois, refait la ferrure d'étai de trinquette, passé des heures à écouter Jaime, regardé la vase, les oiseaux, les bâtos, l'estaleiro, à toutes les heures et dans toutes les variations de lumières possible, appris à danser devant chaque porte la petit valse d'après vous mon ami, fait des listes, parlé de nos rêves et de nos usages des éponges, lu La Vie Devant Soi à voix haute chaque soir blotties dans le carré, appris à être bienvenus, appris à être accueillants, appris à dire au-revoir, appris à dire Bom dia !











Et tant que tant encore...

Espérez, par faveur.

Nous avons quitté Sarilhos Pequenos, qui signifie " petits problèmes ", et l'estaleiro. C'était le matin et heureusement il pleuvait. Des mains désormais amies faseyaient sur le quai, de plus en plus petites. Notre hôte, Jaime, perché sous son parapluie, nous faisait figure de proue. Il nous guidait dans le chenal invisible avec des gestes légers de droite, de gauche et des ronronnements de sa voix pleine. Notre parcours sinueux faisait s'envoler les flamands roses tout ondulés.

Qu'est-ce que tu veux que je te dise...

Barco e voz, il avait dit le jour de la mise à l'eau, à la fin de la manœuvre. Ce qui est nôtre, on se l'est demandé. Mmh... Faire. Ensemble. Partager. Encore !

Un premier bord est tiré. Un tout petit instant s'il vous plaît, pour recueillir la grâce toute simple de ces  moments.

Merci du fond du coeur à vous les vieux bâtisseurs du bayou, pour tout. Merci du fond du coeur à vous qui vivez là, qui nous avez accueillis comme pas deux, on étaient vingt. Merci du fond du coeur à chacune venue ici pour mettre la main à la pâte, la faire respirer et la saupoudrer de paillettes par milliards.

Merci du fond du coeur à nos coeurs qui ne cessent de croire et de croître. Merci. Pour tout ce qu'on ne peut pas raconter ni photographier. Pour tout ça qu'on ne peut pas saisir ni garder, qu'on peut seulement reconnaître, au fond du coeur.

S'il suffit de faire un truc un peu fou avec le sourire pour attirer autant de coeurs d'or, on ne va pas s'arrêter là.

 

On appareille dans une heure, adeusinho Lisboa et até logo Chach Pekech.

Bons vents partout


14.I.18 - embarquées

Allez ça y est,  " tabon " ; tout-le-monde est amariné ou peu s'en faut. Dans le carré on fait des crêpes et on prépare le repas avec plaisir (manger redevient une option), en timonerie on se lit des histoires pendant le quart. On a plus nos têtes de déterrées. Petit à petit, les mouvements de la mer, du vent, et les notres, imprègnent ce chantier pour en faire un navire. Le temps est plutôt clément, c'est bien pour le gréement dont on découvre les efforts et les besoins à l'usage. Mais ce foutu Nordet nous interdit la route directe vers Cadix.

Le gris des petits nuages de pluie au soir, plus intense que le noir. Rose à peine rose, souvenir de cuivre et blanc sans lumière. Crépuscule, loin du bougainvillier pourpre de la place de Chach Pekech. Il avait fini de fleurir quand nous sommes parties.

Feu de poupe pour grader doucement la montée d'un éclairage de théâtre dans la fonte de la lumière du jour. Notre vie n'est pas plus fragile ici qu'à terre, seulement ça se voit mieux.

15.I.18 - bien longtemps après

extrait du journal de bord d'Albarquel

17h

36° 56' 026'' N

7° 33' 072'' W

 

Tout dessus nom de dieu / moteur off

vitesse 0,9 noeuds / Cadix 'ttontion !

T° bonne : 19°

17.I.18 - sans compter les jours

Des milliers de loupiotes dans le noir, nous approchons lentement. Cadix.

Mouillé sous une ligne à haute tension. Ayé.

 

Nous retrouvons Carina, Tupamaro et Lapin, trois bâtos amis, ça fait une sacré bande pour arpenter la ville !

 

Quelques jours d'escale, flamenco et lessives, resserrage des ridoirs de haubans et réapprovisionement en chocolat. Mais on ne trouve plus nos biscuits préférés dans les magasins. Adios Fillipinos !

 

Ciao les amies qui ont débarqué ! Bienvenue à ceux qui nous rejoignent !

On repart dans une heure.

 

Tcho K10 !

À toute à Gibraltar !

22.I.18 - Gibraltôt

Pas grand monde dans le quartier finalement, et pas de monstres marins déchaînés non plus, nous nous présentons au petit matin dans le détroit, le vent n'est pas là, le moteur nous pousse.

Toute la nuit, des messages d'urgence ont passé sur la radio VHF pour signaler la présence d'embarcations à la dérive, rubber boats, du côté du Maroc. Je repense au morceau de fine toile cirée que les matelots de SOS Méditerrannée nous avaient montré à Brest. Avec de telle embarcations, le plus souvent sans moteur, personne pas même le meilleur marin qui soit, ne peut arriver à bon port sans assistance, ils avaient dit.

Pourtant c'est un PAN PAN, message d'urgence, et non un MAYDAY, message de détresse, qui est diffusé.

Quand on contacte les stations à terre pour avoir des précisions sur les positions des embarcations, on obtient rien. On savait que celles-ci étaient loin de notre route, mais on ouvrait les yeux en grand dans le noir. Je viens de me réveiller de ma sieste nocturne, je ne suis pas de quart mais je voulais voir cet endroit.

Gauche-droite, Europe-Afrique, c'est si proche, deux mondes à touche-touche. Le souvenir de guerres inachevées me fait frémir, aujourd'hui je sens la tension magnétique qui précipite ces deux pointes l'une contre l'autre et les fait se rejeter aussi. Je sens l'espoir et la détermination, je sens la peur et la haine, et la mer au milieu qui n'arrête jamais son balancier Est-Ouest.

 

Le vent sort comme un diable d'une boîte derrière le détroit, le port de Gibraltar est juste là, nous y serons dans une heure. Mais nous virons en direction du Maroc, couché moteur, on veut sentir vibrer la baraque. Quelques heures à jouer avec ce que nous avons entre les mains, ce bateau, nos désirs et nos forces, et personne qui nous en empêche. Autant le vent le permet, on tire nos bords entre les trajectoires sans surprises des navires marchands, ici c'est leur fief, nous sommes là pour le goût de vivre, d'autres pour leur survie, ce ne sont pas des choses sérieuses.

 

La baie de Gibraltar devait être belle, nous y restons en standby quelques temps entre les cargos, devant une piste d'atterrissage, puis nous rejoignons le quai station-service. Pétrole et cigarettes. Sale goût entre les dents. Une fois sorties devant la pointe, on mettra une heure à envoyer nos voiles arisées pour la première fois, on tire sur des bouts, on se concentre, on recommence, barrons-nous de là.

23.I.18... de Gibraltar à Mazarron

Les classiques : totale pétole, bouée à la traîne, tout-le-monde sur le pont, peu sapés comme jamais, on plonge pis on nage plus vite que le bateau, ouh qu'il est beau vu de là ! À terre c'est sommets enneigés et compagnie, les dauphins vont sûrement pas tarder... chienne de vie.

Les moins classiques : une longue palabre pour décider de la marche à suivre, vu qu'on va peut-être pas rester là à compter les pets de crevette pendant trois jours, on a rencard à Carthagène quand même. Alors qu'est-ce qu'on fait ? Eh ben blabliblou le retour du vent annoncé pour... mais on devrait pouvoir faire cap au... non? Oui mais on pourrait s'arrêter plutôt à... sauf qu'après il nous faudra... ben oui mais le bâto aimera pas que... en tout cas ce serait chouette que... quand est-ce qu'on arrive ? est-ce que chacune d'entre nous est ok pour... faut se dire que par la suite... Mais ? Il n'y pas de capitaine sur ce rafiot ? Si si, mais... comment dire... on expérimente ! Finalement on décidera de pousser au moteur et qu'avec l'aide d'un petit coup d'Ouest on arrivera tôt à l'escale et on aura le temps à quai de causer de fond en comble. Alors d'accord. Mais ça veut dire un chantier : défricher, récupérer, cueillir, construire... un vrai bivouac des idées pour repartir de plus belle. Ça ne fait plaisir à personne de faire marcher un voilier au gasoil. Mais pour le coup c'est un souffle à nous qui remplace le vent. On a besoin d'apprendre à nous connaître encore et on s'y jette. Vroum vroum, une nuit au mouillage, encore une palabre le lendemain. Puis on dérape, pas une voile dehors. Mes deux camarades de quart, là-bas en timonerie, s'occupent de faire en sorte qu'on ne s'entortille pas l'hélice dans les bouées de pêche avec cette brume, moi je les ai lâché pour faire un peu de couture sur la trinquette avant que le vent revienne. Assises avec moi à l'étrave, les amies avec qui nous constituons le groupe de préparation des discussions à l'escale, planchent dur et c'est pas fini. Heureusement, on se dira souvent qu'on est très très fortes et que l'amour est partout où tu regardes. Il sera temps de faire tourner le poste... D'ici j'en vois aussi une qui bidouille des câbles dans la timonerie, sur le toit, un qui retaille les cuirs de l'encornat d'artimon, et au-dessus encore, dans les enfléchures du grand mât, celle-ci réassure leurs amarrages aux haubans. On a grée tout ce qu'on avait de culottes et de chaussettes au vent.

 

25.I.18

 

Le soir... c'est versailles dans le carré, électricité à foison, la musique nous baigne, on s'offre un toast de fromage fondu, au mur, le tableau qui nous rappelle Chach Pekech ne bouge pas, le bâto file à plat, la mer se laisse oublier...

Comme souvent à présent, quand je nous regarde je vois des figures adolescentes s'évanouir. Je sens qu'on à encore un plein de fragilité, avec un peu moins de torture peut-être ; une fascination espiègle les unes pour les autres, probablement plus tolérante qu'avant, et qu'on est inarretables grâce une sorte de certitude allégée de son effronterie... Bon bref, tout-à-coup je nous vois larges et humbles et formidables et je me dis que les enfants, les ados que nous avons été nous adoreraient, que les vieilles que nous seront en rirons encore et que nous, nous y sommes, mine que rien.

J'ai le goût de nous, asi tabon, et quand je pense à tout ce que nous ne savons pas faire, tout ce que nous n'arrivons pas à prendre à bras le corps, tout ce que nous ignorons... en réalité, tout ce à la rencontre de quoi nous allons... je suis saisie d'une sensation de délice. Et que ce ne soit en aucun cas une extase est encore plus profondément bon !

 

Cette aventure m'offre le monde à sa manière, par la densité de ce que nous vivons, par les histoires de chacune, par les possibles possibles et les faits accomplis... si c'est pas de l'amour...

 

Finalement, le temps d'apprendre à vivre, il n'est peut-être pas trop tard.

 

Le lendemain la journée commence à 02H00 du mat', je gruge encore un bout de mon quart pour ne pas rater une discussion nocturne avec une amie, et qui dure parce qu'on se déconcentre un peu quand les dauphins viennent faire leur numéro phospho au nez du bâto. Puis je finis le quart avec ma bordée, qui déborde sur le suivant, celui qui commence à 05h00, parce que les copines sont excessivement choupies quand elles émergent du sommeil. Quand elles arrivent fraîches et pimpantes après ce petit bonus de dodo, je reste en leur compagnie, elles se saisissent de la barre et du livre de bord, je me mets à couper des pommes. Une fois la compote sur le feu le soleil commence à s'approcher, je vais finir la couture d'hier. Le vent s'en vient et les copines ne se le font pas dire deux fois, elles envoient tout ce qu'on peut. Je serre mon dernier noeud d'arrêt sur mon patch et déferle la trinquette.

 

Plus tard je dors, plus tard il n'y a plus de vent. Nous reprenons le quart à 16h mais il ne se passe pas grand chose. À la barre, je fais de la figuration, derrière ça cause à qui mieux mieux, on s'explique, il ne s'agirait pas de se prendre pour des consensus... et d'un coup, le bâto met son grain de sel, il est reparti à 5 noeuds dès que la brise s'est redressée. On file, on fait un cap pas ridicule, le bâto swing bien dans la houle. Oh yes.

25.I.18 - Racontar

La musique par défaut du réveil de mon téléphone moderne est pas si mal : elle commence doucement et monte tranquillement, rendant la phase de recherche du bouton "Répeter" moins stressante. Il est 7h43, dans un quart d'heure je prend mon quart ! Ça fait à peu près deux semaines qu'on est parties de Lisbonne, et 4 jours qu'on a quitté Cadiz, Tupamaro, Carina, Lapin. Au début j'ai été assez malade : les vingt-quatre premières heures à vomir 5 fois par quart, puis plusieurs jours à n'être capable de faire que le strict minimum, à savoir tenir un peu la barre, faire un point sur la carte, être en position assise sur la banquette de la timonerie, manger, boire. Et après genre 5 ou 6 jours, plutôt j'ai la frite, le mal de mer est un truc chelou qui me semble avoir été fabriqué par mon cerveau, mais en fait c'est juste que je me suis habitué·e aux mouvements, au rythme de someil, à l'espace. Cet état "malade" est un peu fou : j'étais convaincu d'être ici uniquement parce que le groupe qu'on compose est complétement dingue, mais en fait maintenant qu'il est parti (le mal de mer, pas le groupe) bin je kiffe aussi le reste. C'est super :)

Bref voilà, le réveil a sonné, j'ai la flemme de bouger, mais j'allume la lumière en me disant "encore 5 minutes", et la musique recommence, je me re-réveille et cette fois me motive un peu plus. Je m'habille en restant allongée parce que de toutes façons j'ai pas ouf le choix, pis que c'est quand même vachement mieux pour la tête — à la fois pour pas se cogner et pour pas s'étourdir avec les mouvements du bateau — vu que je dors tout à l'avant, ça bouge assez pour régulièrement se sentir décoller légèrement du lit. On partage ce petit lit à deux, alors je range vite-fait mon sac à viande, et je rassemble mes gadgets avant de me lever : téléphone, mouchoir, lunettes, frontale. Des fois j'enlève aussi mes bouchons d'oreille, mais ce matin j'en ai pas mis. Avant de sortir de la cabine je choppe un ou deux paquets de gateaux dans ma réserve, j'attrape mon manteau de quart, je met mes chaussettes et mes bottes, et hop, allez, motiv' ! J'ai abandonné la salopette, ici y'en a pas besoin, vu qu'il pleut jamais. Le moteur a été allumé pendant la nuit, à cause du manque de vent, alors ça vibre, partout, de l'avant on le sent bien dans les pieds. Mais c'est le jeu d'avoir un vieux bateau comme ça, il marche que quand le vent lui arrive plutôt de derrière, et pas trop doucement.

Dans la timonerie (c'est là où y'a la barre, la table à carte, les instruments de navigation) y'a plein de personnes, les quatre du quart précédent, et deux de ma bordée. Avant d'y aller je trace aux chiottes, paske y'a rien de mieux que d'aller sep avant de prendre son quart ! C'est Arthur qui m'a appris ça : quand tu te lèves pour aller prendre la barre, bin tu commences par boire un coup, pisser, et manger un truc. Alors j'avoue, je fais ça à chaque fois. Cimère l'ami!

Dans la cuisine j'en profite pour me faire un bol de reste de bouffe d'hier soir, je choppe quelques amandes et quelques raisins secs, et je remonte sur le pont. J'ai de l'énergie, c'est cool. En vrai je m'attendais pas à ce que ça devienne si facile de se lever après avoir dormi 5h et quelques. Le moment de changement de bordée est toujours un peu bordélique : entre celleux qui arrivent un quart d'heure avant l'heure, celleux qui arrivent dix minutes après, et le temps de rigoler et se raconter trois conneries, ouvrir un paquet de gateaux ou finir le point, ça prend toujours un peu de temps. Mais c'est un moment méga important je crois, qui nous permet à nous de savoir ce qu'il s'est passé les dernières heures, savoir quel cap on a prévu de faire, où en sont les batteries, l'assèchement, comment s'est passée la dernière manoeuvre de voiles…

C'est aussi un petit moment pour se dire comment ça va, même si la nuit on a envie d'aller se coucher vite fait après le quart, ça vaut toujours le coup de s'assurer que les gens vont à peu près bien ou quoi…

Cette nuit, comme bien d'autres, y'a eu un appel "pan pan" à la VHF, relayé par les garde-côtes, prévenant de la présence d'un petit bateau à la dérive, avec à son bord 47 personnes. Les infos fournies sont insuffisantes pour imaginer intervenir. Que faire de ça ? J'en sais rien. Depuis qu'on s'est rapproché·e·s de Gibraltar et qu'on a passé le cap, j'ai les boules de ça. Les boules d'être confronté·e à cette réalité dont je connais la théorie par des lectures et des écoutes, les boules d'être là pénard sur ce voilier peinturluré, bleu de tant d'eau potable qu'il transporte, blanc de tant de papiers d'identités propres, rouge de nos idées rageuses, et jaune de notre incapacité à faire quoi que ce soit si ce n'est se regarder, le bide serré, dans cette mer mortuaire, mais pas pour nous. Voilà j'ai tenté la poésie pour dire comment je sais pas dealer avec ça. C'est finalement assez facile de juste pas y penser, d'y revenir de temps en temps, de se dire qu'il faudrait qu'on en cause, ensemble. J'ai l'impression que si on avait les coordonnées d'un bateau à la dérive pas loin on irait, mais en vrai, on ferait quoi ? On prendrait 50 personnes sur notre bateau ? Bon pis maintenant on commence à être trop loin de Gibraltar pour que ça arrive… "On y pensera plus tard".

Bref voilà, revenons à 8h du mat', l'heure de prendre le quart. J'aurais qu'à prendre la barre pour commencer, hop. Cap 60°, direction Adra.  J'arrive plus à mettre des points d'exclamation après avoir balancé ces trucs des personnes qui tentent de traverser la méditerrannée, le reste me semble une vaste blague, et ça me donne pas du tout envie d'écrire. Allez j'essaie d'insister, de décrire la suite de la journée.

 

Bon y'a pas moy, je vais bouger d'endroit, peut-être arrêter d'écrire. Et pis là il est 19h40, je prend à 23h, faudrait que je dorme au moins 2-3h avant… Je suis dans la timonerie, sur la table à carte, j'écris pendant que

d'autres emmènent le bateau cap 80° en écoutant de la zic et en papotant, le moteur vrombissant sous nos pieds. Moi j'ai The Cinematic Orchestra dans les oreilles, ça kiffe mais ça donne pas la frite ! Allez je décroche.

 

(une heure plus tard)

Lumière blanche au milieu, qui éclaire la cuisine, lumière jaune sur babord, qui éclaire la table du carré, on est 5 dans le salon/cuisine, à cuisiner, manger, écrire, fumer, boire, papoter, penser. Cette ambiance me fait masse kiffer d'être ici, avec ces personnes si belles ! J'ai envie de continuer d'écrire la journée.

 

Passé ce moment de transmission (je crois que j'en étais là), l'ambiance se recalme, la bordée d'avant va se coucher. Je suis à la barre. C'est un exercice intéressant mais pas évident ! Là on doit suivre le cap 75°, alors quand le compas du bateau indique 70°, je tourne la barre à droite un ptit coup, pis s'il indique 80° bin je tourne la barre à gauche un ptit coup. J'ai des repères sur la côte ou alors je regarde les étoiles, ça me permet de réagir plus vite qu'avec simplement le compas, et c'est plus agréable de regarder dehors que sous le pif. C'est E qui m'a dit ça y'a pas longtemps, et j'avoue que c'est un bon tip ! Assez vite on fait un point, la personne à la table à carte me demande l'heure et les coordonnées GPS, qu'elle reporte sur la carte grace à l'équerre et au compas. À partir de là on peut voir si jusque là on a réussi à bien suivre le cap ou si il faut corriger. On papote, de l'asso qu'on est en train de fabriquer, de la météo dans les jours qui viennent et de comment ça va rendre la navigation compliquée, on raconte des bouts de nos vies, on chante The big rock candy moutains, Fille de, Le marin d'eau douce et d'autres, je regarde dehors pour éviter de foncer dans un autre bateau, les autres aussi, le soleil se lève.  Je crois même qu'il était déjà levé en fait ! Ce qui est fou c'est que je m'en suis même pas rendu compte. Pourtant c'est un moment assez stylé je crois. On a éteint les feux de nav et le feu de hune d'ailleurs. J'me fais assez vite relayer à la barre, c'est cool parce que j'aime bien, mais pas trop longtemps. Au début j'avais super peur de pas faire "assez", d'être molasse et que ça soit relou et pesant d'être en quart avec moi. Un jour j'ai dit ça dans une discussion "comment on va", et plein de personnes ont dit qu'on s'en foutait, que si je voulais moins prendre la barre, pas faire de manoeuvre de voile ou pas étudier la carte bin je pouvais, la plupart du temps. Parce que d'autres kiffent le faire et seront ravies de le faire plus. Alors d'accord, ça me parle, finalement je savais dans la théorie que la répartition de ces tâches ne se fait pas qu'en nombre de minutes, mais aussi en motivation, état, envie. C'est chouette de pouvoir vivre ça en bateau.

Eva a ramené de l'infusion de gingembre, c'est si bon ! Je bois deux tasses en deux-deux tellement ça fait du bien ! C'est pas qu'il fait froid, mais ce chaud piquant est vraiment extrèmement agréable quand il traverse le corps. On a une enceinte et un lecteur MP3, alors de temps en temps on se met de la musique, quand y'a Marianne c'est Mariza - Maria Lisboa, quand y'a Milena c'est Jacques Brel - Comme toujours, moi je met La mal coiffée ou Radio Tarifa, et sinon y'a les voix de Colette Magny, d'Anne Sylvestre, y'a de la cumbia ou du rap, Starmania ou Amália Rodrigues. Les goûts sont variés. Assez vite des gens se lèvent, c'est le vrai matin et c'est dur de rester au lit quand le soleil tape sur la mer bleue. Moi j'ai bien envie d'y aller, au lit ! Le petit déj s'étale sur pas d'heures, les bols se remplissent de yaourt aux flocons d'avoine, pour certain·e·s avec des fruits et du chocolat, pour d'autre avec du sucre, pis si t'aime pas le yaourt bin tu peux manger des crêpes que C est en train de faire, avec le nutella qu'avait été gardé secrètement. Depuis que je suis sur Albarquel (début décembre), j'ai oublié d'être végane. Enfin, disons que j'ai décidé que ma vie serait plus simple si je mangeais en me prenant moins la tête, alors voilà. Je suis pressée de remanger végan quand même, mais aussi ça me fait du bien de pas trop y penser (même si en vrai à chaque bout de fromage ou de beurre qui rentre dans ma bouche j'y pense, c'est pas trop lourd). Vers midi les personnes de la bordée qui nous remplace sont là, on leur transmet là où on en est, que c'est le bon moment pour brancher les ordis et téléphones parce que les batteries sont full et que le moteur est encore allumé alors ça va, que la coursive et la machine ont été asséchées mais que la pompe du carré marche plus, que dans pas trop longtemps on devrait...

Je mélange un peu tout dans mon racontar, mais c'est pour plus d'intensité, yéyé.

31.I.18 - en trois mots

On part demain

sept heures trente

à la voile

qui est chaud ?

moi moi moi

je remonte l'ancre

je hisse tout

vroum le moteur

pour le guindeau

mais pas plus

moi je dors

vent qui pousse

cap au cap

où on laissera

nos trois amies

c'est les meilleures

pour la fin

Eva Miléna Kim !

Faire du Nord - 4.II.18

 Je ne sais plus où j'ai lu un jour qu'aux directions des quatre points cardinaux correspondaient différentes quêtes. Ça disait qu'aller à l'Ouest, c'était chercher où vont les choses, poursuivre leur disparition, rejoindre l'achèvement. Vers l'Est on irait voir d'où cela vient, débusquer les origines, rencontrer les apparitions. Depuis cette vision centrée sur l'Europe, prendre la route du Sud représentait la douceur, les fruits donnés, la vie facile... et suivre la voie du Nord c'était aller à l'épreuve, à l'arrachée, au saisissement.

Je ne suis pas certaine qu'on puisse ainsi épingler le globe et les chemins de l'âme, mais depuis quelques jours je songe à cette métaphore.

" Faut faire du Nord ", c'est le mot qu'on se passe de quart en quart, faire du Nord, tant que tant qu'on peut, que le vent nous l'accorde, soit en nous poussant, soit en daignant ne pas nous empêcher. C'est pas si courant par ici en cette saison, faut pas rater le coche. Demain matin la fenêtre va se refermer, alors, si on a pas perdu à la course, on sera à l'abri quelque part entre Tarragonne et Barcelone, le Vent du Nord ne nous trouvera pas sur sa route.

Le vent l'emportera - 7.II.18

Contraste...

L'arrivée, ces quelques dernières heures à flotter, à danser, tanguer du tango tangonner, le voile des lumières peu à peu se rapproche.

Loin halo lumineux de pas à peu, guirlandes scintillantes de milles feux, formes, contours, cons de tour, arrachant à la pénombre sa toile, ombre de quiétude.

Terre, sol, ville, vacarme, vraoum, vlan, violente ligne tirée épurée jusqu'à l'oblique, jusqu'au angle droit, arrêtes saillantes souillées, salées aseptisées, immense sorditude en solitude.

Contraste...

L'arrivée, ces quelques dernières heures à flotter, à guetter, à observer l'attente, latente longueur et déjà l'imaginaire se rétrécit, à pen...scier entre deux O, solEAU, solo je l'avait presque oublié...

Avaler dans ce bleu gris vert l'humide et salé à s'en lécher les os, à s'en tremper la peau, à en perdre pied, noyer à prendre son pied, jusque dans les doigts toi, les doigts moi, fendre les boots, souquer le bois, eau vent frais face frimousse qui dix vagues encore et en corps!

Contraste...

L'air rance ou l'errance, le rien dans l'immensité, l'horizon du clair de lune ou de l'autre, reflet assuré azuré désargenté, les yeux pris à chavirer je... vrille... m'étarcquille!

Battement d'cils, je suis là, sensation sans nations jamais aux boots des doigts la barre pleine Ouest la tête à l'Est!

L'arrivée, ces quelques dernières heures à flotter pour enfin réaliser l'échappé, explorer l'inavoué, savourer l'évadée, l'envolé, fêter la folie, l'insasiété encore, insatiable nous sommes.

Un shoot, l'iode au plus hauts fonds des narines marinées une trace au plus profond dans nos rêves partout, par toutes et par tous, enfants perdu de nul part faisant tomber les voiles des avares.

J'a terre..et..ri jaune comme un songe qui explose, le retour s'impose, on suppose et s'oppose à la fin de cette osmose, revenir chargé d'allégresse pour mieux se noyer dans l'ivresse.

Les vannes iodées cèdent peu à peu au préambule des funambules Qui suis-je ? Où vais-je ?

Dans quel État j'erre ?

Contraste...

L'arrivée, ces quelques dernières heures à flotter me terrasse, m'harasse la carcasse, éclatant carapace, l'angoisse entre deux mondes...

Atterrir, s'affermir, s'amarrer, s'ancrer, bientôt retrouvaille que vaille encore de se réjouir re jouir oh oUI

Aspiré, presque arrimé, pas débarqué, c'est la mêlée des corps et des esprits éreintés, épuisés, planter dans ce décors... déjà on ne respire plus, le poids de l'arrimé est aux bouts de ses amarres.

Pression, friction, fiction en faction entre tiraillement et déchirement: quitter, le choix, partir, le doute, re-partir, sans doute, rester, jamais plus, s'amariner à airer, c'juré!

Contraste...

L'arrivée, ces quelques dernières heures à flotter où du plus beau sourire vêtu, l'on sait qu'on ne pourra jamais plus... s'arrimer et rester

Le vent l'emportera et tout disparaitraA

 

Sur un quai de Barcelone

07/02/18

3h53

22°27'13" N

02°11'12" E

mer calme

vitesse de rêve

Variations sur la fin (début) - nuit du 18 au 19.II.18

Règle du jeu :

Chaque phrase, exceptée la première, commence par le dernier mot ou la dernière syllabe de la précédente.

Bonne nuit les amies.

...

 

 Dernière heures du convoyage

Âge d'or en paillettes sans attendre

Tendrement, rageusement

M'entraîne jusqu'au bout du quart

Car la relève arrive

Rivée encore à sa bannette

Nettement plus confortable que cette foutue table

Table à carte, carte à coinch

Chut j'écoute le vent

Ventre grinçant de navire

Remué par ses sursauts

Sautillant de voile en voile, le vent, qu'on attendait tant !

Tant mieux pour les qui restent !

Tentent les charades avant la sieste !

Sieste en écoutant l'eau filer le long de la coque

Oh que je veux profiter de cette longue glissuave

Avant que les penons aussi ne s'écroulent

Oula, ça y est on est à la dérive

...